Second lien: une fonction critique
Par Gilles Charest, Mba
À quoi sert le second lien dans le modèle de gouvernance sociocratique ?
C’est l’élément qui garantit la santé de toutes les unités de travail car grâce à lui, toutes les tensions de l’organisation peuvent être recyclées pour maintenir un fonctionnement optimal de celle-ci.
Pour comprendre le rôle de second lien, il est utile de se référer à la théorie des systèmes dynamiques.
Rappelons qu’un système s’autorégule quand les éléments du système collaborent à la réalisation d’un but commun, qu’ils ne se contrôlent pas les uns les autres et qu’ils restent ouverts aux feedbacks de l’environnement. Ces principes servent de fondements à la méthode des cercles sociocratiques.
Orientation, exécution, mesure
Dans tout système dynamique, il y a une partie du système qui donne une impulsion, une direction au système. On peut tout aussi bien dire que cet élément dirige le système. Dans la structure organisationnelle classique c’est le chef hiérarchique qui joue ce rôle.
Une autre partie du système exécute les orientations, les directives émissent par le leader. Dans la structure organisationnelle classique, les collaborateurs jouent ce rôle.
Finalement, dans un système dynamique une troisième partie du système sert de régulateur, de mesure pour maintenir le système dans les limites optimales de son bon fonctionnement. C’est ici qu’entre en jeu le rôle du second lien. Ce rôle n’existe pas dans la structure organisationnelle classique.
Relations et jeux de pouvoir
Le rôle le plus important du second lien est d’aider à sortir des jeux de pouvoir et des tensions organisationnelles improductives qui minent l’énergie et la créativité des collaborateurs à tous les niveaux de la structure.
Dans la structure classique d’exécution, les relations chefs – collaborateurs sont propices aux jeux psychologiques de pouvoirs et ce, tant au sein des équipes qu’entre les niveaux hiérarchiques.
Dans le feu des opérations, il arrive qu’un collaborateur se sente bousculé, dominé par un collègue ou par son patron. Les jeux de pouvoir prennent naissance à l’occasion de ces incidents que l’on considère souvent comme anodins.
Une personne se sent blessée et développe secrètement à l’égard de la personne qui l’a froissé un sentiment de victime. Si l’incident n’est pas relevé et traité ouvertement, la victime risque tôt ou tard de chercher inconsciemment dans son environnement un confident qui reconnaîtra que la personne qui l’a blessé est bel et bien un bourreau ce qui le confortera dans son rôle de victime. Alors commence entre les protagonistes le jeu bien connu du bourreau, de la victime et du sauveur.
Ce jeu se joue également entre les niveaux hiérarchiques. Un collaborateur se plaint de la maltraitance d’un collègue d’un autre département. Son chef endosse sur le champ le rôle de sauveur et court défendre son collaborateur auprès de son chef hiérarchique. Dans le pire des cas, il prendra soin de ne pas dévoiler la source des doléances dont il se fait le porte-parole en invoquant à tort le sceau de la confidentialité nécessaire, selon lui, pour éviter les représailles de l’autre département envers ses propres collaborateurs.
Le chef hiérarchique est à son tour pris dans le jeu. Entre le chef sauveur qui défend ses collaborateurs et le prétendu bourreau de l’autre département qui les maltraite on contraint le grand chef à jouer le seul rôle qui reste, celui de la victime. En effet, le chef hiérarchique devient une victime impuissante parce que les informations qu’il reçoit sont filtrées par le porte-parole de celui ou celle qui se sent laissé. Il n’a pas accès direct à la personne prétendument maltraitée. S’il reste coincé dans cette relation unidirectionnelle à l’alternat il est forcé de prendre parti à l’aveuglette. Il est prisonnier de cette relation.
Sortir les jeux de pouvoir
Pour sortir des jeux de pouvoir, il faut sortir des relations unidirectionnelles et déposer le problème relationnel au milieu du cercle des personnes impactées par le différend.
C’est là que la structure permanente des cercles sociocratiques révèle tout son potentiel. Le conflit qui ne peut se résoudre à un niveau de la structure doit impérativement être porté au niveau supérieur. C’est la règle en sociocratie.
Dans ce cas, le second lien représente, au niveau supérieur, les doléances exprimées dans son cercle. Le chef est ainsi délivré du rôle de sauveur et peut, au sein du cercle, s’exprimer au même titre qu’un autre participant.
La fonction de second lien confère au cercle la responsabilité de porter au niveau supérieur les tensions qu’il ne peut pas résoudre. Les collaborateurs sont donc invités à ne pas se cacher derrière leur leader et ce dernier à ne pas jouer le rôle de porte-drapeau.
Régulation sans jugement
Si on traite dans un cercle les différends relationnels, ce n’est pas pour juger les personnes impliquées, mais bien pour les aider à sortir des jeux de pouvoir qui plombent l’énergie du groupe.
Derrière tout conflit, il y a des besoins non satisfaits. La communication en cercle va faire émerger ces besoins ce qui va permettre aux antagonistes de se rencontrer et de renouer des liens de coopération dans la satisfaction de ces besoins légitimes.
Une stratégie d’évitement
Il n’est pas rare que certains gestionnaires, pour éviter de traiter un conflit ou un différend dans les cercles, prétendent que les seconds liens sont trop fragiles et qu’on va les mettre en difficulté si on leur expose les tensions qui existent entre les collaborateurs.
On est en droit de se demander quels avantages ces gestionnaires tirent-ils de cette prétention. Ce zèle à vouloir protéger le prétendu faible n’est-il pas une façon de poursuivre plus subtilement les jeux de pouvoir: bourreau, victime sauveur ?
Souvenons-nous que le second lien est élu sur la base du consentement des membres de son cercle et que ces derniers n’ignorent ni les exigences du poste, ni les qualités et les limites de celui ou celle qu’ils ont nommé à ce poste.
Nous croyons au contraire qu’en faisant confiance aux seconds liens imparfaits, les gestionnaires eux-mêmes imparfaits se posent en équivalents, position psychologique qui invite à des comportements responsables de la part de tous. Si certains seconds liens venaient à se positionner comme non équivalents aux autres membres cette posture psychologique devrait faire l’objet de discussion avant même qu’on aborde la problématique du conflit soumise au cercle.
Sensible aux tolérances de chacun le cercle va traiter le différend dans les limites de ses moyens. S’il ne peut résoudre la question, il a toujours la responsabilité de porter la question au niveau supérieur.
Être en mesure, en tout temps et en toute sécurité, de soumettre nos décisions à une instance supérieure est le fondement même de l’esprit citoyen et de la santé mentale.
De la même manière qu’un individu doit être en mesure, lorsqu’il vit des tensions internes, de faire appel à une instance supérieure (sa conscience) pour adopter un comportement éthique, de même les personnes en conflit dans la vie sociale doivent-elles être en mesure de soumettre leurs différends à une instance supérieure pour adopter un comportement socialement acceptable. Autrement, c’est la loi du plus fort qui prime !
Le rôle de chef
Dans un environnement sociocratique le rôle de chef est à la fois exigeant et enthousiasmant. Il est exigeant parce qu’il demande non seulement des habiletés et des connaissances pour diriger l’exécution des tâches, mais également de grandes qualités pédagogiques pour accompagner les individus dans les apprentissages qu’ils ont à faire pour vive et travailler ensembles.
C’est pour cette raison que le chef sociocratique lui aussi accepte d’être en processus d’apprentissage permanent.
Ce rôle est enthousiasmant car le projet de son organisation se confond avec son projet de vie. Ce qui faisait dire à un de mes amis, chefs d’entreprise, à qui on demandait pourquoi à 70 ans il ne prenait pas sa retraite : « j’ai pris ma retraite depuis très longtemps. Je l’ai prise quand j’ai commencé à travailler. En fait, je ne travaille pas, je vis ma vie intensément et j’apprends chaque jour ».